Le docteur Tankred Stoebe a passé le mois de janvier 2017 en Libye, où il a coordonné une mission d’évaluation médicale. Au terme d’un parcours qui l’a mené de Misrata à Tripoli, il livre ici ses impressions.
Misrata
Ismaël et Masjdi étaient des étudiants de 19 ans lorsque la révolte a éclaté en 2011 en Libye. Idéalistes et passionnés, ils ont pris les armes comme des milliers d’autres contre le gouvernement de Mouammar Kadhafi, sans entraînement ni aucune connaissance des stratégies militaires. Les deux jeunes hommes ne se sont rencontrés que bien plus tard, à Malte, après avoir échappé de peu à la mort. Blessés au visage au cours des combats, Masjdi a perdu la vue, et Ismaël est paralysé, ne pouvant bouger que sa main droite. Ils sont devenus amis dès leurs premiers échanges dans l’unité de soins intensifs. Séparés durant la période de rééducation, ils ont gardé contact et se rencontrent désormais à Misrata quand ils en ont l’occasion. « Nous sommes à présent comme des frères » disent-ils de concert. Masjdi pousse le fauteuil roulant de son ami et Ismaël lit des histoires à l’aveugle.
Misrata est une ville chargée d’histoire. Stratégiquement placée sur la mer Méditerranée, elle est connue pour sa fierté et son indépendance, mais aussi pour ses marchands, ses trafiquants et ses pirates. Entre février et mai 2011, la ville a connu un pic de violence. Aujourd’hui, nous entrons dans une ville désertique, sablonneuse et poussiéreuse, mais animée, puissante sur le plan économique et militaire. Les hôpitaux y sont bien équipés et le système de soin y est mieux organisé qu’à l’Est. Comparée à Benghazi ou Tripoli, Misrata est à l’heure actuelle relativement sûre. C’est là que nous nous installons.
Chaque jour, les rues se remplissent d’Africains subsahariens qui, aux carrefours, exposent leurs outils de récolte ou de construction, leurs brosses et leurs marteaux piqueurs, afin de proposer leurs services en tant que travailleurs journaliers. Bien que les arrestations soient rares, certains sont interceptés aux points de contrôle de police et sont transférés vers des camps d’internement avant d’être renvoyés dans leurs pays d’origine. Environ 10 000 migrants principalement originaires du Niger, du Tchad et du Soudan, vivraient actuellement à Misrata. Lorsqu’ils sont malades, ils s’adressent généralement à un pharmacien par peur de se faire arrêter et déporter, et achètent les médicaments recommandés, aux prix parfois élevés. En cas de problèmes plus graves, ils se rendent vers des structures de soins privées qui, bien que chères, ne sont pas dans l’obligation de dénoncer les patients sans papiers. En cas de maladies chroniques, ils n’ont pas d’autre choix que de rentrer chez eux. Lorsque je leur demande s’ils ne souhaitaient pas prendre un bateau vers l’Europe, ils secouent la tête en souriant : « C’est trop dangereux répondent-ils. Nous ne voulons pas mourir en mer. »
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